1¡ et 2 mars 2003.
Un week-end à Genève.


Dimanche 2 mars. 16 heures 44…

…Me voilà à peine installé dans le train du retour que j'imagine déjà les forumaniaques m'assaillant de demandes alors que ma petite tête saturée d'images et de souvenirs ne souhaite que s'abandonner au repos. Mais si je me défile, Alain et Bruno vont m'accabler !. Allons bon ! Voilà que je me décide à baisser la garde avant même de livrer combat. Voici donc, cher lecteur, la petite et sommaire histoire d'une poignée de ces chronomaniaques en vadrouille à Genève illustrée par les quelques photos de l'auteur qui ne seront pas trop inexploitables au tirage.

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Samedi 10 heures 45. Arrachés de leur juste sommeil à 5 heures du matin, une poignée de LPDMistes parisiens débarque en gare de Genève. Nous nous sommes vites retrouvés dans le TGV et les commentaires sur les derniers trucs – qui – donnent – l'heure vont… bon train (désolé !). A la gare, premier hic. Impossible de trouver Patrice et son épouse Annick. Nous apprendrons plus tard que la SNCF s'est montrée incapable de leur délivrer dans les délais le billet que l'automate, planté dans son programme, s'était obstinément refusé de leur imprimer et qu'ils ont manqué le train du matin ! Nous les retrouverons à 14 heures.

Arrivée à Genève : Marz, « Google Eye Momo » et Francesco

La petite troupe, après une brève hésitation, retrouve dans le hall du proche hôtel Cornavin ses hôtes et gentils organisateurs, Christophe GOLAY et Emile SPIERER, de Golay et Spierer que l'on ne présente plus (ceux qui n'ont pas encore parcouru l'intégralité de leur site sont invités à interrompre immédiatement cette lecture , à cliquer sur www.golay-spierer.ch et à ne revenir qu'avec un mot d'excuse signé. Non mais). Christophe et Emile sont accompagnés de plusieurs amis et proches, familiers et / ou artisans, qui vivront avec nous les très riches heures de ce week end horloger : Henri, Thomas, Jusi, Gérard, Patrick, Antonietta, Jérôme, etc. Domi38 et Jean Pierre "Jip" sont également présents. Joël de Toulouse, l'encyclopédie vivante de Chronomania, arrive en avion et nous retrouvera sous peu. Monsieur Jean KAZES est parmi nous et nous le suivons dans la visite du "Cœur de Cornavin", la plus grande pendule du monde qu'il a conçue et réalisée.

"Rez de chaussée : vins et spiritueux. Masse du balancier". Dans le lounge oscille l'extrémité d'un sculptural balancier. Il faut lever les yeux au zénith pour apercevoir huit étages plus haut la magistrale horloge reliée à icelle par une structure d'acier de 30,02 mètres de long (Guiness book certified).

Lâinterminable balancier

Nous empruntons les ascenseurs. "8ème étage : salle de restaurant, vue panoramique sur Genève et horloge monumentale". Celle ci marquée du style qui caractérise les œuvres de son auteur est actionnée par deux poids de 20 et 40 kilos qui sont remontés électriquement quand les contrepoids atteignent les contacteurs au faîte de leur course.

L'horloge monumentale au 8ème

"5ème étage : linge de maison et échappement". L'échappement révolutionnaire excentrique a été étudié dans le souci de respecter le silence. Après tout nous sommes dans un hôtel suisse ! L'axe pivotant de caoutchouc mû par la friction d'un échelon à palier du balancier satisfait sans conteste à cette contrainte.

L’échappement sans recul dit « à repos flottant »

Lâhorloge, 3 étages plus haut

Nous quittons l'hôtel Cornavin pour nous rendre à l'Auberge du Carouge, proche des ateliers Golay et Spierer, où nous passerons la prochaine nuit. Emile nous attend dans sa "bétaillère", longue camionnette orange vif flanquée tout le long de son volume de chargement de 2 banquettes sur lesquelles nous nous alignons. Nous voyagerons ainsi à maintes reprises dans cet attachant "mini bus" tout au long du week end.

La bétaillère, le berger et· le troupeau

Nous sortons de l'auberge après y avoir déposé nos petites affaires et nous rendons cette fois à l'atelier de Jean KAZES. Ce créateur génial d'origine bulgare y réalise avec des moyens simple et artisanaux de sculpturales et inimitables horloges où s'enroulent à l'envi les volutes de métal. Coup de cœur personnel pour un modèle à quantième et phase de lune ou l'inextricable problème de la courbure de notre satellite (croissance / gibbosité) est tranché par l'emploi d'une lune sphérique.

 


Quelques horloges s’entassent dans l’atelier. Au centre, l’horloge compliquée à quantième et phase de lune remporte tous les suffrages

Point d'ordinateurs ou de commandes numériques en ces lieux mais un véritable travail d'artisan et d'artiste à la fois monumental et imprégné d'une forte identité.

L'atelier de l'artisan : de la conception·

… à la réalisation

Dans un coin, j'aperçois sous plastique un ensemble balancier / roue d'échappement en métal et plexiglas qui n'est pas sans évoquer les expériences culinaires de l'ami JJ CASALO…

Espionnage pour JJ. Dépêches toi, la concurrence prend de l'avance !

Nous sortons déjeuner dans le soleil et la douceur de Carouge, charmante "banlieue" genevoise aux allures de petit bourg et nous retrouvons devant un premier et déjà généreux repas. Chacun se présente et raconte son histoire autour de la tablée. De nombreuses créations de nos amis Emile et Christophe sont là, qui circulent de main en main.

 


Le déjeuner de Carouge. Aquarelle du XVIII ème par Kfir. On aperçoit notamment de gauche à droite : Emile, Joël , Gérard, Henri, Elizabeth, Thomas, Jusi, Marzena, Francesco

On en oublie un moment le temps qui passe et notre rendez vous prévu à 14 heures au musée Patek Philippe. Nous nous y rendons avec un retard léger mais indigne de la précision des produits de la prestigieuse maison. Et nous y retrouvons Patrice et Annick.

Emile aux commandes de son inénarrable véhicule en route pour le Patekâs mystery tour

Là, je vais marquer une pause dans le style publi rédactionnel de cet article. Je ne vous raconterai pas le musée Patek Philippe. On ne peut pas raconter le musée Patek Philippe. On s'y rend et on se laisse descendre au fil de l'histoire de l'horlogerie d'abord, de la manufacture ensuite. La plupart – enfin, beaucoup – de ces pièces de légende que vous avez aperçues à la lecture de somptueux ouvrages ou d'épais magazines, sont là. La "calibre 89". Le pistolet à oiseau chanteur, la "Henry Graves" (elle n'est que de passage, dépêchez vous) les "heures universelles" émaillées… pour n'en citer que quelques unes. En deux mots : précipitez vous, si vous en avez l'occasion et si vous ne l'avez pas, créez la ! Un autre conseil avant que je n'oublie : suivez une première visite guidée si le cœur vous en dit. Notre guide n'était pas une experte mais faisait vivre cette histoire. Et une fois la visite terminée, retournez y dare dare dès l'ouverture matinale avec un ami – amateur si possible. Vous avez de quoi vous extasier pour une journée entière au moins.

Les LPDMistes au Saint des Saints

Après la projection d'un film aux senteurs hélas un peu trop… publicitaires ("Jamais vous ne serez que le grand père de votre petit fils qui un jour, etc.") mais suffisamment bref, la visite s'opère du 3ème étage au 1er étage. Au 3ème, après avoir entendu l'histoire de la marque et de ses fondateurs, on peut arpenter une riche bibliothèque tout entière tournée vers notre dévorante passion. Possibilité de consultation sur demande et sur rendez vous.

Dans les corridors de la bibliothèque

Au second, l'on entame l'histoire de l'horloge portative qui deviendra la montre mécanique. Après avoir redécouvert le spiral et son balancier sur les traces de Huygens, contemplez la richesse du travail des émailleurs d'alors.

 

Les Huguenots amenèrent avec eux l'horlogerie et· les émaux

On me pardonnera les vagues clichés photographiques qui colorent mon propos et qui sont si loin de refléter la beauté des trésors du musée Patek Philippe. Tout photographe à peine amateur de mon triste niveau doit savoir ce qu'il en coûte de vouloir capturer l'émotion suscitée par de tels objets à travers des vitrines éclairées (bonjour les auto focus qui ne savent plus où ils en sont) et avec interdiction d'utiliser le flash ! (Trop sombre, trop flou, couleurs sabotées…) le tout en essayant de suivre une guide et un groupe et pressé par le temps et le groupe qui suit !

 


Les ancêtres de ma Da Vinci. L’indicateur de l’année à 4 chiffres n’était pas encore parfaitement au point… La lecture de l’heure non plus d’ailleurs !

Toujours au second, vers le fond, arrêtez vous longuement devant les montres à automates, à jacquemarts, à musique, à tout çà à la fois… Coup de cœur de Kfir pour cette montre où l'on voit Moïse frapper le rocher et en faire jaillir une eau qui semble vraiment ruisseler tandis que tout un tas d'autres personnages s'animent.

La sonnerie à l'oiseau

Heures sautantes, déjà…

Observez dans le miroir l’incroyable niveau de finition et de décoration de ce mouvement. A côté, le poinçon de Genève c’est du bas de gamme !

La « Moïse » met en scène un grand nombre d’automates aux mouvements complexes. Le détail en 3D des composants du mécanisme et de leur fonction, projeté en arrière plan, est un hymne au génie de l’horlogerie

Un écran avec éclatés 3D et schémas de construction de type "flash" viennent pour cette montre comme pour d'autres pièces extraordinaires parachever l'admiration en détaillant les mille et un mécanismes intérieurs créés pour donner vie à ces chefs d'œuvres.

Le « Pistolet à oiseau chanteur ». Boîtier en arrière plan et son inextricable mécanisme à automate en avant. Une pièce étonnante

1er étage. On entre dans le vif du sujet et… de la manufacture Patek de sa création à nos jours. Le monde fascinant des grandes complications de poche trace une route qui vous conduit à son pharaon sous sa pyramide de verre blindé. La "Calibre 89". A propos de calibres, durant cette traversée des paradis micromécaniques, c’est à peine si nous remarquons que se sont joints discrètement à nous 3 « membres du personnel » de Patek manifestement venus s’assurer par tous les moyens éventuellement nécessaires que nous n’avions aucune visée trop possessive sur les Trésors du Temple.

Pour celle là, j’abandonnerais presque la montre bracelet

 

Notez le merveilleux mécanisme de la pièce de gauche

 

Patek excellait dans les grandes complications de poche. Ses pièces sont d’une élégance incomparable aussi luxueuse que simple, discrète ou « essentielle »

 

Le Pharaon sur son trône. Il vaut mieux ne pas la faire tomber sur son pied. Elle n’est pas légère ! D’ailleurs, il vaut mieux ne pas la faire tomber du tout…)

En fait d'oignon, çà tourne plutôt à la citrouille ! Elle pèse plus de 1 kilo et on alignerait sans doute 3 ou 4 Panerai le long de son imposant diamètre. 33 complications, pas une de moins. Le jeu consiste alors à trouver ce qu'elle ne fait pas. And ze winner is Francesco, outré que ce machin n'indique même pas l'heure des marées. Lui qui avait fermement décidé de l'acquérir s'est finalement abstenu et est reparti déçu !

 

Plus loin, après avoir contemplé la "Henry Graves" et son célèbre record… financier, on pénètre notre cher (cher ?) domaine des montres bracelets. Heures internationales émaillées ou non, répétitions, rattrapantes, Calatrava, commandes personnelles de célébrités, rares réalisations de la maison (des Reverso, mais oui…), lecture digitale futuriste (proto). Et l'on finit (brièvement, rassurez vous) par quelques quartz. Et oui, depuis 1837 il y a eu des Patek à quartz et il y en aura sans doute encore… Mais peut on parler de l'histoire de l'horlogerie sans évoquer cette technologie ?

 

Heures universelles…

…Calatravas en stock

…et ce modèle aperçu autrefois sur Armbanduhren qui représente la carte d'Egypte et la Vallée du Nil

Les rares émailleurs aujourd’hui n’ont rien à envier à ceux d’antan. Chacune de ces pièces représente pour Suzanne Rohr près de 400 heures de travail

On ferme ! Frustration !

Frustrés de ne pas disposer d'au moins 8 heures de plus, nous quittons le musée Patek Philippe et nous rendons, bientôt rejoints par notre guide du musée Patek, chez la joviale Jusi et son non moins jovial mari, Arsène de la Société de Maroquinerie. Celle ci est située dans un véritable atelier de cabinotier, au 5ème étage d'un immeuble genevois, le long d'une galerie de fenêtres au nord.

La Société de Maroquinerie est un véritable atelier genevois de cabinotier

Jusi et Arsène assurent la réalisation des bracelets des Golay Spierer depuis 2001 après JC environ et accessoirement ceux d'une marque de luxe aux célèbres diamants noirs et de quelques autres encore. Ils peuvent tout travailler et nous détaillent les étapes de la réalisation d'un bracelet de montre et de la couture de la peau autour de l'âme en "indéchirable" (Cà porte bien son nom. Nous essayons sans succès de le faire mentir) et de la forme taillée dans une sorte de feutrine dense.

 

Jusi explique le montage de ses bracelets

Toutes les couleurs sont là et surtout une interminable ménagerie hante cette caverne d'Ali Baba : croco, bien sûr, et lézard, mais aussi requin, autruche, (peau et pattes), galuchat (raie), serpent, coq, éléphant, hippopotame, saumon et crapaud… Il ne manque que la moule et le doryphore ! Choix du fil, bien entendu, et résultats superbes et parfois franchement originaux. Vous voulez voir le travail ? Retrouvez le sur le site de Christophe et Emile. Leurs bracelets sont tous faits par Jusi…

Retour à l'Auberge, toujours en bétaillère. Il pleut maintenant comme bovidé qui se soulage. Un coup de propreté aux LPDMistes et nous voilà repartis pour le dîner du soir. Nous traversons des rues où les horlogers de luxe s'alignent sur des hectomètres comme les grossistes de confection dans le Sentier. Même après fermeture, les vitrines sont encore bien garnies. On est à Genève ! Heureusement pour nos comptes bancaires, on ne peut plus rien acheter à cette heure !

Chaleureux dîner dans une cave de pierre qui nous est réservée. Nous y dégustons des coquelets à la broche et un bien surprenant vin genevois qui semble gorgé de soleil "comme un Languedoc réussi" (Joël).

Chaleureux dîner sous les voûtes empierrées

Crème brûlée, café, fin du repas. Joël et Emile se battent avec un ordinateur portable qui refuse obstinément de recracher son diaporama PowerPoint dans le projecteur. Finalement l'informatique rend les armes et Joël entame sa projection et son exposé sur les chronographes introuvables. Quiconque connaît l'impressionnant niveau de connaissances acquises par Joël de Toulouse en huit années d'études imagine le voyage dans les profondeurs historiques des calibres parfois oubliés ! Joël nous conte sa quête des modèles premiers et pionniers (première rattrapante, première règle à calcul, etc.) et l'agrémente de la présentation de quelques uns des plus beaux mouvements de chronographe. Je ne m'étendrai pas plus longuement ici. Joël nous prépare un dossier sur le sujet qui viendra bientôt enrichir les pages de votre site préféré.


« A la recherche des trésors perdus du chronographe » par le Professeur émérite Joël de Toulouse…

 

Chassés des lieux par la législation locale (à cette heure le resto doit fermer) nous retournons à l'auberge à 1 heure 30 du matin pour une bonne nuit de sommeil. Nos amis suisses veilleront jusqu'à 5 heures pour regarder le triomphe historique du Défi Suisse Alinghi dans la Coupe de l'America.

 

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Dimanche matin 9 heures. Après une nuit aussi bonne que courte et un petit déjeuner à l'auberge, les LPDMistes se retrouvent à l'atelier Golay Spierer situé à quelques centaines de mètres. C'est un endroit fort accueillant qui respire le calme et la douceur de vivre à l'image de ces quartiers de Carouge où il est sis. On y discute quelques instants à la fenêtre avec Christophe, au travers de la grande baie aux montants boisés qui tient lieu de vitrine, avant d'y pénétrer. C'est comme à la campagne !

L'atelier se compose d'une pièce d'accueil chaudement meublée, sans ostentation, garnie de fauteuils profonds d'une grande table ancienne, d'étagères et d'ouvrages spécialisés et de meubles aux multiples tiroirs renfermant des petites pièces ou des outils d'horlogerie. Les murs sont ornés de photos ou de représentations de quelques unes des créations des deux compères. Sur l'arrière on accède à un local où les puissantes loupes binoculaires côtoient le matériel informatique, les dossiers des pièces réalisées ou des projets et quelques instruments. Là, Christophe œuvre derrière son écran et entreprend de nous démontrer les formidables potentialités de ses logiciels pour guider le client dans sa conception ou pour réaliser les plans d'exécution. Nous y voyons apparaître les plans de coupe, les cotes, les figures tridimensionnelles…

Christophe en salle des machines

Christophe et Emile nous commentent ensuite les principes de construction du "bo”tier Golay et Spierer" désormais bien connu de ceux qui ont au moins visité leur site (comment ?! Vous ne l'avez pas encore fait !!!) et les différentes étapes de la découpe dudit bo”tier depuis la pièce de métal originelle.

 


Joël au salon déessayage

 

Christophe et Emile expliquent l’architecture du boîtier Golay et Spierer…)

· et sa découpe depuis la pièce de métal brut

Viennent ensuite les mouvements. Et là c'est comme à la Samaritaine : on trouve de tout et de nombreuses origines : Valjoux, ETA, Venus, Universal… Nous passons de longs moments à étudier ces calibres et à soumettre certains au test impitoyable de la binoculaire X 12. Croyez moi, çà ne pardonne pas ! Deux mouvements qui à l'œil semblent de finition à peu près similaire peuvent révéler d'incroyables différences.

Marzena et Annick tombent en arrêt devant une "squelette" pour dame au mouvement décoré qui se languit dans la vitrine. Il y a des airs de CHI naissante… Et de se lancer dans la recherche des différents bracelets, aiguilles, finitions, boîtiers,… qui personnaliseront le rêve qu'on sent soudain planer ! Pour ma part, je contemple dans un coin ce que j'ai profité de ce voyage pour venir également voir : un mouvement d'une rare beauté et d'un grand "potentiel" - et je prend sous la bénédiction de mon épouse conquise une décision qui me trottait dans la tête depuis bien longtemps. On en reparlera un jour plus lointain. C'est un projet à (très) long terme.


Je ne m'étendrai pas beaucoup plus sur les travaux de Golay et Spierer largement développés sur leur site (celui sur lequel vous vous êtes déjà rendus à ce stade parce que sinon vous n'êtes pas beau. Voilà.) Nous quittons à regret cet endroit reposant où l'on se prendrait si volontiers à rêver dans les bras d'un fauteuil à la conception des plus belles complications, un verre de cognac au creux de la main en s'abandonnant aux senteurs d'un grand Havane (ma préférence) et retrouvons la "bétaillère" pour notre prochaine étape : le bureau genevois du COSC (Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres pour les nouveaux). Petite touche avant le départ : la maison nous offre à chacun un mouvement complet (si si…). Pas exactement du Patatek à répétition mais une curiosité – souvenir, par la simplicité des pièces et traitements employés.

La rencontre avec le COSC me surprend. Comme beaucoup sans doute, je m'étais figuré une sorte de bunker gigantesque un peu à l'écart flanqué d'un gigantesque "COSC" stylisé, isolé de son environnement par 3 rangées de barbelés et de fossés antichars et un parc arpenté par des molosses tractant des patrouilles de gardes armés jusqu'au casque défilant entre les panneaux "Achtung minen" et "Authorized personnel only" sous le regard d'un système de vidéo surveillance jamesbondesque. Et bien non. Le COSC de Genève se situe au 5° étage d'un bâtiment totalement anodin et la seule signalisation de sa présence est une étiquette sur l'interphone entre les Madames Michu et les Messieurs Durand ! C'est donc là que l'on teste ces milliers et ces milliers de mouvements et que se terrent les secrets qui font couler tellement d'octets sur les Timezone et autres ? Que les mauvais plaisants passent leur chemin, la porte et les systèmes de sécurité sont manifestement aussi sérieux que la grande institution elle même.

 

Nous sommes accueillis par Jean Pierre CURCHOD, ancien directeur de l'Ecole d'Horlogerie et autorité du Poinçon de Genève, et amoureux des horloges anciennes et de leur restauration, activité à laquelle il consacre une part de son temps. Il veille par ailleurs en sa qualité de directeur sur la section genevoise du célèbre organisme de certification des chronomètres - l'un des 3 bureaux de mesure de l'association d'utilité publique, les 2 autres étant à Bienne et au Locle (le bureau central est à La Chaux de Fonds).

Vous ne verrez pas de photos des lieux et n'apprendrez pas énormément de choses sur cette visite. Monsieur CURCHOD sait vous suggérer avec une simplicité et un humour désarmants que le COSC tient à ménager une forme de discrétion sur certaines informations ou sur certains procédés ce que l'on peut aisément comprendre. Je m'efforcerai donc de respecter cet esprit. Pas d'anecdotes sulfureuses pour autant : le COSC est un organisme officiel et indépendant qui effectue, avec des moyens modernes et à l'aide de machines numériques et de procédures d'évaluation et de contrôle très strictes qui nous sont longuement présentées, de nombreuses mesures visant à conférer à un mouvement donné une certification de chronomètre – certification qu'il conservera à jamais indépendamment de son boîtier. Ceci tranche sur une question déjà plusieurs fois débattue : non ce ne sont pas les montres qui sont testées mais bien les mouvements nus habillés obligatoirement pour la circonstance d'une aiguille des secondes qui permettra d'effectuer la mesure. Pas de chronométrie donc pour les mouvements sans lecture de la seconde. Lorsqu'on voit la nécessaire automatisation d'un grand nombre de procédures de contrôle on comprend mieux pourquoi : impossible d'adapter une foule de réceptacles pour tous les boîtiers présents sur le marché. La perte de temps et l'investissement nécessaires seraient considérables. Par ailleurs la mesure sur une montre complète serait finalement sans grande conséquence sur les objectifs de l'opération : qu'il s'agisse d'un mouvement ou d'une montre, le COSC ne peut en rien assurer les différentes étapes qui s'écouleront entre la sortie de l'objet mesuré et l'achat par le particulier. Ces étapes sont naturellement susceptibles d'amener au dérèglement un mouvement qui a rempli les conditions de certification. Le COSC est donc finalement un organisme permettant avant tout de tester principalement la régularité d'un mouvement pour le compte d'un fabricant et non d'un client acquéreur final. En l'occurrence, l'organisme exigera pour toute demande de certification que la requête soit soumise par un fabricant uniquement. Bref, et à moins que vous n'ayez vous même réalisé le mouvement que vous voulez "tester", le COSC vous demandera de passer par l'entremise de la maison qui l'a créé. Cela étant dit, les demandes individuelles de certification peuvent être prises en compte pourvu qu'elles respectent ce circuit.

Oui, oui… pensez à Breitling qui certifie toute sa production et produit aussi des machins électroniques. Qu'on ne s'y trompe pas : les exigences sont considérablement supérieures à celles portées sur les mouvements mécaniques et nécessitent l'emploi de quartz à hautes fréquences. La merveille à 50 balles acquise sur le marché dimanche dernier ne sera pas suffisamment précise pour satisfaire aux normes, pas la peine de la présenter. Par ailleurs la résistance de ces mouvements est également testée en les soumettant à de très nombreuses accélérations de 100 G simulant les chocs de la vie quotidienne. A la différence des mouvements mécaniques, les mouvements à quartz sont testés par échantillonnage.

Les laboratoires disposent bien entendu des chambres nécessaires à la mise en température des mouvements pour les mesures de tenue aux écarts. L'hygrométrie et la pression sont contrôlées partout ainsi que le taux d'empoussièrement. Une panne de climatiseur, à moins qu'elle ne se produise un jour où les conditions météorologiques permettent aux locaux de se maintenir naturellement dans les limites normées, peut être rapidement catastrophique et bloquer toute la "production".

 

Je ne pense pas trahir un grand secret en disant qu'une célèbre maison qui met des "loupes" sur certains de ses verres occupe une assez large part dans les mesures effectuées en ces lieux. Mais le COSC en général n'en traite pas moins les produits de 150 déclarants différents provenant de 12 pays, soit près d'un million de mouvements par an pour les 3 laboratoires. Cependant près de 90% des titres sont décernés à 5 marques suisses.
Retour à la bétaillère. Nous nous rendons dans la vieille ville de Genève pour déjeuner aux "Armures" où nous attend une succulente fondue au fromage. Mes contraintes diététiques largement foulées aux pieds depuis la veille (notre cher webmaster Alain comprendra ma détresse) m'ordonnent de me rabattre sur une salade mais je picorerai quand même quelques morceaux dans le caquelon de Joël de Toulouse qui supporte stoïquement ma désinvolture.


La fondue d’adieu aux « Armures »

Nous retrouvons en ces lieux plusieurs rencontres de la veille, venues conclure dignement avec nous ce très enrichissant week end. M. CURCHOD nous accompagne. Nous rejoignons également le Professeur Marcel GOLAY (pas de liens directs avec Christophe) qui dirigea longtemps l'Observatoire de Genève ce qui l' a confronté à de nombreuses et croustillantes situations qu'il nous narre avec un sourire plein de malice. Les anecdotes qui retracent le coup de pied dans la fourmilière auquel il se livra en prenant ses fonctions et en bousculant les habitudes sacrées et inamovibles de la corporation des intouchables régleurs de chronomètres, les scènes délectables qu'il décrit lorsqu'il se décida à mettre un terme aux combats de plaideurs que les grandes et prestigieuses maisons se livraient et cherchaient à perpétuer par son entremise – ce qui ne lui attira pas que des sympathies au sein des directions des grandes manufactures, l'odieux et impensable blasphème que constitua l'attribution en 1968 du premier prix de chronométrie à un mouvement… japonais (horreur !) sont autant de délicieuses mignardises que nous dégustons voluptueusement avec notre café !

 


Le Professeur Marcel Golay, à gauche, et Monsieur Curchod du COSC

 

C'est aussi l'occasion fixée avec Christophe et Emile pour remettre officiellement au Professeur GOLAY la montre à équation du temps / temps sidéral à cadran blanc présentée il y a quelque temps sur ce site et lors d'un récent dîner horloger, puisqu'il en était l'heureux acquéreur !

 

La complication originale de Golay et Spierer est remise au Professeur Golay

 

A propos de montre… Emile se lève soudain : on a complètement oublié l'heure ! Le train pour Paris part dans 15 minutes !!! Panique à Genève. Tout le monde court pour récupérer ses affaires. On prend congé de tous et l'on ne dispose hélas que de quelques instants pour évoquer les moments inoubliables que l'on vient de passer ensemble. Patrice et Annick restent en Suisse. Ils vont poursuivre leur voyage pour rendre visite à Vincent CALABRESE et ramener la superbe pièce que Patrice a présentée sur le forum.


On court à la "bétaillère" dont nous regretterons les petites banquettes et les embardées et coups de freins qui nous auront deux jours durant si souvent projetés les uns contre les autres, et on arrive à la gare à l'heure du départ du train… pour nous rendre heureusement compte que Emile s'est trompé et qu'il nous reste une vingtaine de minutes. Ouf. Nous prenons congé de nos hôtes et des amis qui les ont gentiment accompagnés pour la circonstance.


Nous retraversons les douanes le cœur triste de quitter nos amis - Emile et Christophe et ceux que nous nous sommes faits là bas - et de laisser derrière nous les merveilleux moments qu'ils nous ont si généreusement offerts. C'est promis. Nous sommes prêts. Nous retournerons à Genève. Merci à vous. Merci… Merci encore !

Texte et photos par Kfir. Mars 2003.